La transformation du discours patriotique polonais après 1989

Par Dorota Szeligowska | 28 septembre 2008

Pour citer cet article : Dorota Szeligowska, “La transformation du discours patriotique polonais après 1989”, Nouvelle Europe [en ligne], Dimanche 28 septembre 2008

La réémergence du patriotisme

Les questions qui ont émergé après 1989 dans la sphère publique sont multiples. Une de plus importantes concerne l’identité collective des Polonais  redécouvrant la liberté dans tous ses aspects. Nombre d’éléments auparavant occultés sont retournés dans la sphère et le discours publics. Sous le communisme, il y avait un patriotisme, en plus du discours officiel dirigé par le Parti qui essayait de démontrer sa correspondance avec les traditions ‘classiques’ du patriotisme polonais parce que le régime  implanté de l’extérieur avait besoin d’une légitimation populaire menée en jouant sur les sentiments nationaux.  Il existait alors deux sortes de discours patriotique, chacune conditionnée par un canal de transmission différent : un discours officiel, qui voulait promouvoir une grande adhésion populaire au régime et un autre discours, caché, interdit, qui s’attachait à restaurer la gloire de la Pologne indépendante, idéalisée et rêvée. Après la chute du communisme, ces éléments ont pu retrouver leur place dans la sphère publique  nettoyée peu à peu de toute sorte de falsifications autoritaires.

Dans quelle direction s’oriente ce patriotisme libéré de toute contrainte ? Constitue-t-il l’essence de la vie publique ou, au contraire, s’apparente-t-il à un discours vide de sens ou encore à une rhétorique qui doit modeler les esprits pour les mettre dans un moule civique ? Le débat concernant le patriotisme est devenu particulièrement vif dans les années 2000. Quasiment chaque année, il y avait une occasion pour qu’il soit relancé. D’autant plus qu’il ne s’agissait pas seulement des occasions ‘traditionnelles’, comme  les anniversaires de la reprise de l’indépendance en 1918 ou de la proclamation de la Constitution du 3 mai 1791 mais notamment le 20e anniversaire de Solidarność en 2000, une exposition « Héros de notre liberté » de 2001, l ‘entrée de la Pologne dans l’UE en 2004 ou encore et, surtout, l’arrivée au pouvoir des conservateurs radicaux de PiS, Prawo i Sprawiedliwość (Droit et Justice) en 2005.  Ces personnages politiques se présentent comme les plus aptes à restaurer le patriotisme dans la société et ils défendent la thèse de sa crise voire de sa disparition après 1989. Pourtant le patriotisme qu’ils veulent restaurer ne coïncide pas forcément avec une vision plus moderne prônée notamment par les libéraux. La question qui se posait, surtout sous leur gouvernement entre 2005 et 2007 était s’il s’agissait d’un « Patriotisme de demain », comme le voulait un des programmes opérationnels du Ministère de la Culture et de l’Héritage National, mais il était sûrement plutôt un patriotisme ‘d’hier’ ressuscitant de vieilles traditions.

Les trois patriotismes polonais

Andrzej Walicki décrit finement les trois traditions du patriotisme polonais. La première concerne la tradition républicaine nobiliaire, attachée à la volonté nationale. Il s’agit ici plutôt de la liberté des Anciens (selon l’analyse de B. Constant) qui privilégiait la participation politique. À l’époque, la noblesse constituait 10% de la société et aspirait à avoir la liberté dans l’Etat, tout en l’élargissant aux autres classes sociales. L’ethos était anti-autoritaire (La Constitution Nihil Novi promulguée en 1505, l’utilisation de liberum veto à partir du 1683) et primait sur l’individualisme libéral des Modernes

Le second patriotisme se rapporte à la tradition romantique attachée à l’idée nationale. Dans la captivité, après les partages de Pologne à la fin du XVIIIe siècle, l’attitude politique était celle du rattachement à la vision politique d’une nation indissociable de l’Etat. Peu à peu, la perte d’espoir concernant le regain de l’indépendance a mené à une vision plus culturelle de la nation, opposée à celle des Lumières parce que liée à la fidélité à l’idée nationale transmise aux Polonais par la tradition et perçue comme mission salvatrice. Les échecs dans la lutte pour la liberté étaient analysés comme des « victoires morales », car les Polonais étaient convaincus de se battre pour la bonne cause. L’ethos de la chose publique a été remplacé par l’ethos de la lutte militaire.

Le troisième patriotisme vient de la tradition du réalisme politique liée à la défense de l’intérêt national. Celle-ci se développait au début en même temps que la tradition romantique et se basait initialement sur le présupposé du ‘travail à la base’, praca u podstaw (cet élément perçu par les réalistes comme essentiel, n’était pas absent de l’idée romantique, mais n’y constituait que le complément de la lutte militaire). Ensuite, les réalistes sont devenus plus critiques par rapport à cette idée. La défense inconditionnelle de l’intérêt national est passée au premier plan. Les Nationaux-démocrates de Roman Dmowski qui incarnait ce courant de réalisme politique n’aimaient pas être appelés patriotes, car pour eux, c’était un terme polysémique et plus lié à l’amour de l’État que de la nation. Ils se définissaient plutôt comme nationalistes pour accentuer leur attachement à la nation. Le XIXe siècle était aussi le moment où les deux discours, patriotique et nationaliste, se sont mélangés sur l’arène internationale.

Du passé à l’avenir du patriotisme

L’histoire du patriotisme polonais est fortement liée au contexte géopolitique de la Pologne, ainsi qu’à sa culture politique. Selon une définition concise de professeur Janusz Tazbir : “ En Pologne le patriotisme est né quelques siècles avant que le terme lui-même ne soit créé au XVIIIe siècle. Premièrement, le patriote était décrit comme un homme servant fidèlement la dynastie royale. Cette définition mourut, naturellement, avec l’introduction de l’élection libre des rois. Le patriotisme était perçu ensuite en tant que service à la République. La perte de l’indépendance a amené à la création d’une autre version  du patriote polonais. Le martyr est devenu très important – une personne dévouée à sa Patrie devait soit mourir sur le champ de bataille soit, au moins, être pendu pour sa résistance à l’oppresseur. À la fin du XIXe siècle, et au début du XXe siècle, une nouvelle version du patriotisme a été créée – l’accent a été mis sur le travail pour la Pologne. Un homme connaissant un succès devenait un héros national : (mentionnons) Józef Piłsudski ou Jean-Paul II ”.

Sous le communisme, la référence explicite au patriotisme devait renforcer les fondements nationalistes de la légitimité d’un pouvoir implanté de l’extérieur, fondé sur une sélection biaisée des symboles nationaux. Aujourd’hui le discours patriotique a pu être épuré de ces déformations. Pour autant, il y a un nombre d’auteurs, comme Michał Głowiński, qui soulignent que c’est toujours un discours teiné de nationalisme (même si tout le monde le nie) plus perceptible dans l’espace public que le discours patriotique. C’est un discours fermé et basé sur la peur qui l’emporte sur le discours patriotique, plus ouvert et inclusif. Ce discours se limite à promouvoir une approche négative, polarisatrice et basé sur le vieil archétype du Polak-katolik (cet archétype, sous la captivité, devait aider les gens à garder leur identité en opposant les Polonais majoritairement catholiques aux Allemands protestants et aux Russes orthodoxes). Cette rhétorique de la peur soulignant l’omniprésence des ennemis (surtout dans le discours de la droite radicale) se préoccupe le plus de ladite crise du discours patriotique. On peut cependant en douter, car le patriotisme semble être plus en proie à une rédéfinition qu’à une crise profonde.

À ce titre, Głowiński pointe une nouvelle tendance selon laquelle les sportifs deviennent les « symboles d’identification à court terme ». Cela peut traduire une volonté de recherche d’une nouvelle formule de patriotisme pour les temps de paix qui pourrait éventuellement se transformer, à terme, en une approche plus civique. Le problème avec la ‘réification’ des sportifs est que la culture de masse est de plus en plus éphémère, par conséquent les idoles ne sont pas capables de fournir des modèles stables à toutes les générations. Même Jean-Paul II n’a pas réussi de devenir une idole pour les jeunes, malgré la rapide proclamation de la génération “JP2” après sa mort.

Tribulations et définitions du patriotisme

Ewa Nowicka-Włodarczyk souligne que le patriotisme constitue surtout une émotion et cela fait la difficulté de son analyse. Beaucoup s’accordent pour dire que ce terme est galvaudé et apparaît plutôt dans les débats théoriques qu’en pratique. Le professeur Jerzy Szacki élargit l’acception du terme ‘patriotisme’ en disant qu’il implique la responsabilité devant la communauté à laquelle quelqu’un appartient. Ceci implique ensuite une certaine solidarité envers ses autres membres. Les définitions les plus intéressantes du phénomène patriotique viennent des intellectuels et du monde académique (notamment un très riche échange des lettres entre l’archevêque Józef Życiński et Gustaw Herling-Grudziński, publié dans Więź en 1998).

Après 2000, le débat a été partiellement monopolisé par le PiS qui voulait promouvoir une vision unique d’un patriotisme polonais fort, provocant un tollé parmi certains philosophes plutôt de gauche, comme le professeur Magdalena Środa. Cette démarche de la droite n’a pas porté ses fruits puisqu’il n’y a pas eu de grands changements dans la conscience patriotique. Un grand nombre des commentateurs constate que les jeunes manquent de patriotisme, ce qui inspire l’organisation de multiples conférences qui ont pour but de lancer une nouvelle formule du patriotisme contemporain. Mais comment pourra-t-on le transmettre si c’est un sentiment ? Marcin Król répond à cette question du professeur Środa en explicant que la force du patriotisme polonais venait de l’oppression que la Pologne endurait. À présent, il existe plutôt un patriotisme symbolique dû à plusieurs facteurs : manque d’autorité des hommes politiques, attachement à la liberté et manque de fierté nationale.

Il faut aussi souligner que le patriotisme n’est pas seulement le discours sur le passé. Il doit aussi assumer son rôle en tant qu’idée pour l’avenir. Pour cela, il ne faut pas qu’il s’encastre dans les divisions partisanes entre une approche traditionnelle et libérale. Cette opposition entre la vision militariste, agressive, du patriotisme et celle d’un patriotisme minimaliste n’est pas complète et ne reflète pas toutes les options.

Le professeur Jerzy Szacki qui souligne qu’il faut travailler sur la définition d’une nouvelle formule du patriotisme, car il n’y a pas de patriotisme naturel. Le professeur Janusz Tazbir va encore plus loin en disant qu’il n’y a pas de modèle unique du patriotique. Il existe des visions différentes du bon patriotisme selon professeur Zdzisław Krasnodębski, et il y en a autant que des générations selon professeur Andrzej de Lazari. Le professeur Barbara Skarga affirme que le péché du patriotisme d’aujourd’hui vient du fait que l’on pense qu’il faut le créer dès le début. Sûrement, il y a un besoin d’un nouveau discours patriotique, mais il doit être ancré dans l’histoire et dans la tradition. Il doit être choisi et non pas subit.

Le nouveau discours patriotique

La Pologne décrite par Nowicka-Włodarczyk comme une « valeur abstraite qui apparaît dans les doctrines patriotiques » renvoie à la question des valeurs, sociales,  éthiques et avant tout politiques, qui impliquent des vertus. Ainsi le patriotisme pourrait différer du nationalisme par le respect des autres et le refus de leur faire du mal. Ce respect est reflété par une référence à l’amour dans le discours patriotique polonais. Ces deux derniers éléments sont souvent tracés à partir du 4e commandement et des devoirs de quelqu’un envers sa famille qui peut être reflété par le devoir envers sa patrie (selon une approche prônée par le professeur Władysław Bartoszewski). Cette nécessité d’introduire plus d’éthique dans la politique prône aussi plus de solidarité et de sacrifice.

Pour autant, on admet que dans le monde d’aujourd’hui la question du sacrifice de la vie est quelque peu dépassée, ainsi ce qui s’inscrit mieux dans la réalité est la question du sacrifice de soi pour accroître la fierté de sa communauté et non pas la honte. D’autre part, Zdzisław Pietrasik démontre qu’une grande partie du discours patriotique courant démontre la schizophrénie des Polonais qui soulignent leur attachement à leurs pays, à leur culture, à leur religion et à leur héritage. Par contre, dans la réalité, beaucoup de gens émigrent, les Églises se vident, l’approche à l’histoire n’est pas critique et la culture moderne leur est presque inconnue. Pour cela, le retour de la logique du sacrifice de quelqu’un au profit de sa communauté redevient d’actualité, pour que cette communauté puisse mieux se développer.

Qui  parle du patriotisme ? Les Polonais donnent leur avis dans les sondages réalisés régulièrement tous les trois ans. Il en ressort qu’ils se pensent plus patriotiques que leurs voisins de l’Ouest ; pour autant, leur vision du patriotisme est plus traditionnelle et la vision occidentale, plus civique. Par contre, ce patriotisme polonais n’est pas connecté à la question de la confiance. Il a été créé en dehors de l’État et souvent contre son régime (Szacki) ainsi, même aujourd’hui, le fait d’être un patriote est rarement associé à l’attitude pro-étatique, car l’État c’est toujours ‘Eux’, qui peuvent opprimer le ‘Nous’. Surtout, en Pologne le discours patriotique se réfère majoritairement à la patrie et non pas à l’État ou à la nation. Cette attitude et l’éventuel problème d’instaurer une vision plus civique du patriotisme politique est très bien résumé par une citation du film Les trois jours du Condor de Sidney Pollack, reprise par Krzysztof Daukszewicz : « Un patriote c’est quelqu’un qui défend son pays de son gouvernement ». Pour construire un patriotisme nouveau, plus civique, il faudrait que les élites y jouent un rôle plus important, mais pour le moment, elles n’arrivent pas à imposer leur point de vue, selon Sławomir Sierakowski.

Ce changement de discours a lieu au gré des évolutions géopolitiques – la paix étant à l’ordre du jour en Europe implique une redéfinition du patriotisme. Il ne peut plus être basé sur un danger extérieur qui réchauffe l’identification patriotique. Herling-Grudziński retrace ainsi le changement de discours et ses possibles perspectives : après la Première Guerre mondiale le patriotisme est devenu plus populaire, moins élitiste. Ensuite, après la Deuxième Guerre mondiale, il s’est transformé en une vertu silencieuse, dû à l’abandon de la Pologne par les Alliés et à son entrée sous le joug soviétique. Sous le communisme, à cause de la censure, une discussion profonde sur le patriotisme et sa nature n’était pas possible. Aujourd’hui, cette image de patriotisme en tant que vertu silencieuse est davantage importante et intéressante, car il ne nécessite nullement de grandes déclarations ou le pathos. L’archevêque Życiński, à qui les réflexions de Herling-Grudziński étaient adressées, partage cette opinion de la nécessité du silence de certaines vertus qui devraient éviter la possibilité de tomber dans ce qu’il appelle le ‘syndrome de l’école maternelle’, de dire que « mon papa est plus grand et plus important que le tien ». Ce ne sont pas les paroles qui sont importantes, mais les actes. Dans ces temps de la paix, le patriotisme polonais devrait prendre la forme de l’approche objective à sa nation (selon Sadurski). Ainsi le nouveau patriotisme ne doit pas forcément s’inscrire dans une des traditions patriotiques précitées, mais devrait plutôt développer un nouveau chemin plus adapté aux temps nouveaux.

Comment développer cette nouvelle approche ? Nowicka-Włodarczyk dresse un parallèle entre le patriotisme et le manichéisme : autant dans le monde réel, le bien rencontre le mal, autant dans le monde des idées, ils ne se rencontrent jamais. Selon elle, la même chose se produit avec le patriotisme : dans le monde des idées c’est une émotion, purement bonne, tandis que dans le monde réel, il peut inspirer des actions peu louables, notamment nationalistes, mais pas nécessairement. Sadurski conclut qu’il serait plus facile de dire ce que le patriotisme n’est pas que ce qu’il est. Il réfute une approche exclusive, qui consiste à exclure ceux qui ne partagent pas notre vision du patriotisme du camp patriotique. Souvent, les tentatives de dire qui est un bon ou un mauvais patriote, ou encore un patriote ‘réel’, sont biaisées et pour cela Szacki les qualifie de pamphlétaires. Personne ne peut prétendre posséder une vraie et seule vision de patriotisme.

Les tentatives de refuser toutes les nuances, qui ont eu lieu récemment parmi la droite conservatrice (une seule lecture de la politique de Józef Piłsudski ou de l’Insurrection de Varsovie) ont été décrites par les philosophes (notamment professeur Skarga) comme un signe d’une « culture politique basse », de la peur de l’inconnu et un reflet des vieux complexes. Une vision plus positive de patriotisme moderne impliquerait de promouvoir une plus grande participation politique et électorale, payer ses taxes, travailler pour son pays, respecter la loi. Professeur Środa décrit ce « patriotisme des moyens minimaux » en tant que patriotisme de petites vertu, mais cruciales,  que le professeur de Lazari qualifie de ‘pragmatique’. Pour le professeur Szacki, ce modèle de patriotisme est un nécessaire préalable pour le développement d’un patriotisme plus profond, vraiment civique qui se situerait dans l’opposition au patriotisme dans sa stricte acception traditionnelle et nationale.

Sans doute faut-il encore aborder la dimension temporelle incluant le présent et surtout l’avenir. Le professeur Środa pense que cet intérêt porté au futur démontre le vrai amour du pays. Vue l’accession de la Pologne à l’Union européenne en 2004, il semble nécessaire y porter un regard plus détaillé.

Comment sauver le patriotisme dans le XXIe siècle ? Selon Janusz Majcherek, il faut marier le local avec l’européen et le civique. Pour cela nous pouvons mentionner deux solutions possibles : un patriotisme européen ou un patriotisme constitutionnel (développé en Allemagne où la formule traditionnelle du patriotisme n’a plus été possible après Auschwitz). Selon Heinrich Winkler, ce dernier paradigme développé par Dolf Sternberger et puis approfondi par Jürgen Habermas était le seul capable de ne pas exclure l’Allemagne du monde occidental. La situation en Pologne n’a pas la même  mais certains auteurs se demandent un patriotisme traditionnel est possible après Jedwabne (le massacre des Juifs qui a eu lieu en Pologne orientale en 1941, décrit par Jan Tomasz Gross dans son ouvrage “Les voisins” du 2000).

Un patriotisme critique ?

Il ne faut pas oublier que les relations polono-juives ont été objet de l’analyse profonde depuis le début des années 1980, quand trois articles importants de Jan Józef Lipski, Jan Błoński et professeur Jerzy Jedlicki sont paru. Ceux auteurs, dont l’importance est incontestable, ont reçu un label des ‘patriotes critiques’, de la part de la droite conservatrice. Les radicaux de droite accentuent, quant à eux, l’importance de l’approche affirmative quant à l’histoire de son pays, et de ce fait ils rejettent une des caractéristiques cruciales du patriotisme, telles que décrites par Hannah Arendt, à savoir l’approche critique à sa propre communauté. On peut dire que l’ouvrage de Gross possède la valeur d’avoir lancé la discussion et a permis aux différents partis de clarifier leurs positions sur le passé. Le débat qui en résultait était riche et important. On ne peut pas dire une chose pareille à propos du débat qui a émergé après la publication du dernier ouvrage de Gross La peur, paru en 2008 concernant le pogrom des Juifs qui a eu lieu en 1946 à Kielce. Ce livre a déclenché une vraie chasse aux sorcières du côté de la droite radicale, contre son auteur, qui a été accusé d’être anti-Polonais, anti-catholique et seulement guidé par la volonté de détruire le ‘vrai’ patriotisme polonais. D’autre part, lui et son ouvrage ont été défendus par nombre d’intellectuels qui soulignaient qu’il ne peut qu’aider à guérir les plaies qu’il ré-ouvrait pour que le futur du patriotisme polonais soit meilleur. Adam Szostkiewicz soulignait, à ce titre, que le patriotisme auto-critique doit avoir les mêmes droits que tout autre forme de patriotisme. Il spéculait aussi que même si aujourd’hui ce genre de patriotisme difficile paraît minoritaire, le futur peut et devrait lui appartenir.

Ainsi, le patriotisme constitutionnel est perçu comme un complément du patriotisme traditionnel, à travers lequel ce patriotisme ‘national’ pourrait incorporer la partie critique du débat sur la communauté. Sadurski concluait que ce patriotisme constitutionnel en entrant en relation avec d’autres formes de patriotisme pourrait constituer une bonne forme de patriotisme pour les temps de la paix, surtout s’il arrive à générer la confiance sociale, qui est nécessaire, aux yeux du professeur Anna Wolff-Powęska, à une communauté pour exister.

Vers un patriotisme européen

Le patriotisme européen est perçu par certains comme un avenir possible du patriotisme polonais. Dans le cas polonais, il peut être traite séparément du patriotisme constitutionnel, même si dans la littérature scientifique la possibilité de patriotisme européen passe par le patriotisme constitutionnel. Toutefois, cette question est loin d’être facile, surtout à cause du manque supposé de l’identité européenne ainsi que de la critique de l’identification avec l’Europe comprise en tant que la fuite de la communauté nationale. Dans ce motto post-moderniste, les nations seraient sacrifiées sur l’autel européen, ce qui n’est nullement l’idée des partisans du projet européen. Pour autant, l’inexistence du pilier civique dans la construction européenne paraît flagrante aux yeux de Robert Traba. Cette vision conflictuelle de l’Europe n’est pas partagée par tout le monde : le professeur Łagowski fait remarquer que pendant des années l’Europe était perçue en Pologne comme une solution, ce n’est que maintenant qu’elle devient aussi un problème. Elle paraissait aussi être capable de créer un patriotisme nouveau qui pourrait dépasser les particularismes nationaux.

Pour autant, le manque d’accord sur les valeurs communes, aperçu pendant le débat sur le traité constitutionnel, démontrait une incohérence de l’approche du gouvernement polonais de l’époque qui voulait promouvoir la référence au christianisme et en même temps se prononçait pour l’élargissement de l’UE à la Turquie. Ceci, selon le professeur Łagowski, impliquerait l’impossibilité de créer un vrai patriotisme européen, la seule option restante serait ‘un patriotisme constitutionnel journalistique à la Habermas.

D’autre part, il y a aussi des intellectuels qui ont une vision plus positive de l’intégration européenne. Le professeur Skarga estime par exemple qu’ « être patriote aujourd’hui veut dire être un citoyen, non seulement de la Pologne, mais aussi de l’Europe ». Pour cela nous devrions protéger ce patriotisme européen naissant, car en Pologne l’Europe vit depuis longtemps en tant qu’une idée, selon professeur Krzysztof Pomian. Par ailleurs, cette option d’être un bon citoyen de l’Europe pourrait aussi être attirante pour les jeunes générations, qui sont plus ouvertes sur le monde, selon Bronisław Komorowski. Jerzy Surdykowski conclut que le patriotisme non seulement ne va pas succomber, mais sera florissant dans l’Europe de plus en plus unie.

L’histoire et le contexte géopolitique influencent la conception du patriotisme polonais. Le débat polonais actuel sur le patriotisme reflète le débat international, le partage des opinions passe plutôt sur les lignes politiques que sur les frontières nationales (à l’exception de la discussion concernant le patriotisme constitutionnel et européen puisque ces deux notions ont une autre signification en Pologne). L’opposition entre la vision traditionnelle et libérale du patriotisme est trop réductrice et la crise du discours patriotique polonais dans les années 1990 semble douteuse. L’entrée de la Pologne dans l’UE a changé la donne. L’Europe est perçue autant comme une contrainte – il faut compter avec cette nouvelle perspective – que comme une solution au débat problématique sur le patriotisme. Dans le débat actuel sur le patriotisme polonais il y a une composante classique, concernant le débat sur la nature de patriotisme dans les temps de la paix et de la guerre, mais il y a des éléments nouveaux aussi. Ceux-là peuvent être identifiés avec les nécessité du monde d’aujourd’hui, notamment la création d’une société civile forte et promotion des vertus civiques.

Pour aller plus loin :

Articles

  • Gustaw HERLING-GRUDZIŃSKI, “Cicha cnota patriotyzmu” in Więź 11/1998
  • Zdzisław KRASNODĘBSKI, “O czasach postpatriotycznych” in Znak  4/2002
  • Bronisław ŁAGOWSKI, “Patriotyzm i Konstytucja” in Przegląd 21/2007
  • Janusz A. MAJCHEREK, “Inna ojczyzna, inny patriotyzm” in Rzeczpospolita 09.01.2001
  • Karolina MONKIEWICZ-ŚWIĘCICKA, “Patriota w Unii”, Interview with professor Andrzej DE LAZARI in Przegląd 18/2004
  • Aleksandra PAWLICKA, “Ich patriotyzm, mój patriotyzm” in Przekrój 34/2007
  • Zdzisław PIETRASIK, “Polak – portret hipokryty” in Polityka 12/2008
  • Wojciech SADURSKI, “O patriotyzmie w czasach dobrych” in Rzeczpospolita 29.09.2004
  • Sławomir SIERAKOWSKI, “Z patriotyzmem problem mają elity” in Polska wyborcza, complement to Dziennik Polska 10.11.2007
  • Jerzy SURDYKOWSKI, “Patriotyzm klęski” in Gazeta Wyborcza 01.09.2007
  • Sławomir SIERAKOWSKI, “Z patriotyzmem problem mają elity” in Polska wyborcza, complement to Dziennik Polska 10.11.2007
  • Klara SYREWICZ, “Patriotyzm krytyczny”, Interview with professor Norman DAVIES in Polska wyborcza, complement to Dziennik Polska, 10.11.2007
  •  Jerzy SZACKI, “O potrzebie patriotyzmu uwagi różne” in Znak 4/2002
  • Adam SZOSTKIEWICZ, “Egzorcysta Gross” in Polityka 5/2008
  • Magdalena ŚRODA, “Pochwała patriotycznego minimalizmu” in Tygodnik Powszechny, 26.11.2000
  • Anna WOLFF-POWĘSKA, “Jak dziś być patriotą” in Gazeta Wyborcza, 22.09.2006

Ouvrages

  • Ewa NOWICKA-WŁODARCZYK, Patriotyzm. Tożsamość narodowa. Poczucie narodowe Fundacja, “Międzynarodowe Centrum Rozwoju Demokracji”, Kraków, 1998
  • Andrzej WALICKI, Trzy patriotyzmy. Trzy tradycje polskiego patriotyzmu i ich znaczenie współczesne, Res Publica Warszawa, 1991